
Quand les vignobles de France deviennent les podiums de la médaille Jeux Olympiques
Et non, je ne parle pas encore des Jeux Olympiques de Paris, mais des supermarchés. Plus précisément, des rayonnages de vin. Par exemple, dans ce supermarché d’Ile-de-France où 136 types de vins rouges s’affichent pour la foire aux vins 2023 à la fin septembre. 36 d’entre eux arborent un autocollant brillant sur la bouteille, une médaille. Concours Général Agricole, concours international de Lyon, concours des grands vins de France à Mâcon… Ce ne serait pas étonnant d’avoir le vertige à force de s’y retrouver.
Dans les allées pas franchement charmantes des hypermarchés, c’est étonnant de voir à quel point ces autocollants dorés attirent des clients. Comme l’explique Emmanuelle Rouzet, consultante spécialisée en marketing du vin, ces autocollants aident les vignobles à se démarquer et à rassurer le consommateur. En grande surface, il faut vraiment une stratégie marketing bien rodée pour faire sa place. Et la baisse de consommation qui s’observe actuellement n’arrange pas les choses.
La ruée vers les médailles vinicoles
Depuis quelques décennies, des dizaines de concours vinicoles organisés par diverses associations, coopératives ou entreprises ont vu le jour dans toute la France. Au fil des années, plus de 24 000 médailles ont été décernées. Et contrairement aux JO, où seul le meilleur repart avec l’or, dans le monde du vin, il y a beaucoup plus de “gagnants”.
Là où 100 vins sont dégustés par le jury d’un concours, un maximum de 33 bouteilles sont susceptibles d’être médaillées. Une générosité qui favorise forcément l’ethos du “trop, c’est comme pas assez”. Des concours ont trouvé une parade afin de distribuer encore plus de récompenses : supprimer les distinctions bronze et argent, ne laissant ainsi que l’or. D’autres, ont gardé seulement l’or et l’argent. Et certains y sont même allés d’une nouvelle catégorie, comme la médaille “grand or”.
Qui sont ces dégustateurs “compétents” ?
Ces généreuses distributions de récompenses, bien que réjouissantes pour certains, ne font pas l’unanimité. Certains participants, comme Olivier Techer, vigneron au Château Gombaude-Guillot, regrettent que le public puisse penser qu’une médaille d’or est une garantie que le vin a été le meilleur de sa catégorie ou de son appellation. C’est loin d’être le cas.
Pour sélectionner les vins qui recevront des médailles, les concours font appel à un grand nombre de dégustateurs. La loi stipule que le jury doit être “impartial” et se composer “d’au moins trois membres, dont les deux tiers au moins sont des dégustateurs compétents”. Mais la définition de “compétent” reste à la discrétion des organisateurs et selon Antonin Iommi-Amunategui, viticulteur et auteur spécialisé, certains concours ne sont pas très pointilleux en la matière.
Pourquoi les grands domaines se font la malle
Alors, peut-on vraiment dire si les vins médaillés sont bons ou mauvais? Plusieurs indices laissent penser qu’il y a de l’eau dans le vin. Par exemple, un journaliste belge de la RTBF a révélé avoir envoyé une mauvaise bouteille achetée à bas prix dans un supermarché au Concours international Gilbert & Gaillard… et avoir remporté l’or !
Un autre indice qui fait écho : le nombre de grands domaines qui choisissent de ne pas participer à ces compétitions. Antonin Iommi-Amunategui estime que cela est une “preuve irréfutable que ces concours ne valent pas grand-chose”.
A tout prix, on veut les macarons
En réalité, les concours sont principalement destinés à certains types de cuvées : les vins vendus en grande distribution, souvent à bas prix, ou destinés à l’exportation, notamment vers l’Asie et les Etats-Unis. En 2022, un sondage mené par Viavoice indiquait que 59% des Français se disaient très attentifs à ces distinctions lors de leurs achats. Il est donc clair que les concours vinicoles sont une stratégie marketing incontournable pour de nombreux domaines.
Cependant, cette stratégie a un coût pour les vignerons. Pour participer à ces concours, tous les domaines doivent payer des frais d’inscription. Ces derniers varient d’une dizaine d’euros à plusieurs centaines d’euros dépendant du concours. Et une fois la médaille en main, le vigneron n’en a pas fini avec la dépense : chaque autocollant sur une bouteille est facturé quelques centimes d’euros, tout comme l’autorisation de reproduire la récompense sur son étiquette.
Au final, ces médailles coûteuses et dont la légitimité est discutée révèlent deux visions économiques opposées qui coexistent dans le monde du vin. D’une part, une production de masse destinée à la vente en supermarché, qui ne peut pas faire sans ces distinctions pour se démarquer. D’autre part, une production plus artisanale et de meilleure qualité, distribuée via des cavistes indépendants qui ne veulent pas dépendre de ces concours aux pratiques parfois discutables. Alors, qui dit vrai dans cette histoire de médailles dans le monde du vin?